La bête est massive. Plus de neuf cents kilos soufflant, roulant des yeux, tirant sur la corde qui les rattache à la bétaillère, qui paraît bien mince face à la puissance que l’on devine sous le pelage cannelle de l’animal.
La bête est imposante. Elle est entourée de trois autres animaux. A quelques pas, une vingtaine d’hommes, indifférents au froid mordant, en tenue traditionnelle de maquignon. Chapeaux noirs, foulards rouges, blouses amples. La scène semble anachronique. Ce samedi, les éleveurs des montagnes de Haute-Loire et d’Ardèche exposent leurs bêtes dans la petite ville du Puy-en-Velay.
La bête est énorme. Emblématique d’une viande connue des gourmets : le Fin Gras du Mézenc. Le Mézenc, montagne froide et rude située entre l’Ardèche et la Haute-Loire. L'endroit a donné son nom aux bêtes qui y vivent. Des animaux massifs, au long poil d’hiver – tondu pour l’occasion –, adaptés au climat local. Ce jour-là, sur la place du Puy-en-Velay, le mercure est en dessous de zéro, mais les bêtes n’ont pas froid. « Si vous les voyez trembler, c’est qu’elles ont un peu peur, c’est tout », sourit un jeune éleveur.
Ces pâturages montagnards ont permis la reconnaissance de l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) en 2006. L'alimentation particulière, faite uniquement de foins et herbes du Mézenc, qui se retrouve dans le goût de la viande, très parfumée et « persillée », c’est-à-dire constellée de pointes de gras qui fondent à la cuisson.
« Avec le Fin Gras, on fait mentir le marketing : aujourd’hui, les gens veulent du maigre, et toute l’année. Nous, on vend du gras et du saisonnier, et quel succès ! », raconte Bernard Bonnefoy, président de l’association Fin Gras du Mézenc, et éleveur dans le petit village des Estables.
La saisonnalité, voilà l’autre particularité du Fin Gras du Mézenc. Vendue uniquement de février à juin, la race est la seule viande saisonnière AOC de France. L’exposition de ce samedi vise à lancer la saison, juste avant que les premières bêtes rejoignent les banques réfrigérées des boucheries. L’un des animaux présentés, le plus massif, est déjà vendu. A un boucher de Clermont-Ferrand. « On le surnomme ’’le Gaulois’’, parce qu’il va à Clermont-Ferrand, comme Vercingétorix », s’amusent les exposants. Prix de la bête : trois mille euros. Le double d’un tarif non AOC.
En 2012, la viande s’est vendue près de cinq euros le kilo (prix payé à l’éleveur). Un produit de luxe, pour une demande qui ne faiblit pas, au niveau local et régional, mais aussi « dans le Rhône, dans le Lyonnais, dans le Midi. » Cette année, 676 bêtes AOC seront vendues, soit 10% de plus que l’an passé. Prochain objectif pour les 80 éleveurs du plateau : obtenir l’Appellation d’Origine Protégée avant la fin de l’année.